Regard nouveau sur le leadership
18 juillet 2016
Vivre l’économie autrement et positivement. Réconcilier l’économique et le social. Échanger pour construire ensemble. Ces aspirations formulées par Emmanuel Faber (PDG de Danone, ci-dessus) conduisent à changer une certaine conception -souvent erronée- du leadership pour renouer avec la définition étymologique de l’économie (« oïkos nomia ») c’est-à-dire l’art de vivre ensemble. Vivre l’économie autrement, c’est d’abord une invitation à un chemin d’humanité où l’on écoute avec les yeux du cœur. Développer son leadership, n’est-ce pas aussi renouer avec l’authenticité et la bienveillance ?
Le leadership : inné ou acquis ?
« C’est un leader ». Cette phrase sonne comme une vérité absolue et définitive. Elle suffit à entériner l’idée selon laquelle le leadership est une donnée innée. Cette croyance est à la fois vraie et fausse. Le leader est leader parce qu’il suscite aisément l’enthousiasme, parce qu’il provoque naturellement une vague d’admiration, qu’il fédère et influence le groupe naturellement. Son alignement avec lui-même et son aisance lui valent de rayonner et de favoriser l’adhésion. Parfois, ce charisme naturel se développe très tôt, parfois il est un potentiel négligé. Le déploiement du leadership repose moins sur l’innéité que sur les événements. Mettre en œuvre les circonstances capables de laisser s’exprimer les leadership : tel est l’enjeu. Car, le leadership n’est pas le management même si la confusion est souvent entretenue. L’un – le management – suppose connaissance, habileté, maîtrise, technicité, l’autre – le leadership- exige lâcher prise, sensibilité, retour aux énergies, authenticité. On lit souvent que le bon manager est celui qui est capable de mener les hommes, de créer l’enthousiasme et l’adhésion. Cette définition du bon management correspond en réalité à une expression du leadership. Cette faculté d’entraînement est avant tout liée au comportement et à la personnalité intrinsèque du manager.
La preuve par l’exemple
A ce titre, l’intervention d’Emmanuel Faber (PDG Danone) lors de la remise des diplômes des étudiants HEC, est une leçon de leadership. Son discours détonne, il rompt avec les codes, il bouscule les attentes. En commençant par décrire brièvement le parcours d’un homme qui se révèle être son frère, en indiquant avec pudeur ses zones de fragilité intimes, en évoquant combien ses épreuves l’ont questionné profondément, Emmanuel Faber capte l’attention, livre un témoignage rare et doublé d’une profondeur métaphysique. Comment les questions qui suivent ne pouvaient-elles pas ébranler de jeunes diplômés qui se lancent dans leur vie professionnelle : « Qui est votre petit frère ? Où est votre fragilité ? Qu’est-ce qui fonde votre action ? Qu’est-ce qui a du sens pour vous ? ». Emmanuel Faber fait une démonstration de leadership : son aura s’étend à mesure que ses faiblesses se révèlent avoir construit ses forces. Son authenticité et sa sincérité forcent l’empathie naturellement et la confiance, évidemment. Emmanuel Faber a compris que l’expérience personnelle, l’authenticité et la singularité apportent de l’humanité et qu’elle seule permet de toucher, de séduire et de résonner chez le collaborateur, l’auditeur, l’interlocuteur.
Quelle place pour l’intime dans la sphère professionnelle ?
La nécessité du leadership n’est plus à démontrer aujourd’hui. Pourtant, ce même leadership est trop souvent le parent pauvre de la formation. Les raisons en sont multiples parmi lesquelles : comment un formateur pourrait-il apporter ce qui est donné ou refusé à chacun ? Comment imposer depuis l’extérieur ce qui, de toute façon, tend à se révéler intimement ? Si le leadership est avant tout une manifestation de l’intime et le résultat d’un alignement personnel au sein de la sphère professionnelle, il est difficilement accessible pour les dirigeants et les managers qui se sentent souvent brimés. Contraints par le cadre professionnel, ils ne parviennent pas à « être eux-mêmes dans le cadre de l’entreprise ». Pourtant, révéler une part de sa personnalité, avancer avec ses atouts et faire une place à sa singularité favorisent l’épanouissement du manager et développent son aura, son rayonnement et, par conséquent, son leadership.
Les déclics pour déployer son aura
Le leadership est aussi la conjonction d’une personnalité et de circonstances propices à la mise en place de nouveaux comportements. Il est donc essentiel de prendre un temps d’introspection pour adopter certains déclics. L’entreprise conduit trop souvent à porter une armure pour faire face au stress, aux tensions, aux conflits. Pourtant, cette armure enferme plus qu’elle ne protège. De façon métaphorique, il s’agit de sortir du « scaphandre » imperméable à l’émotion et aux ressentis, pour faire surgir « le dauphin » et gagner en authenticité et en spontanéité vis-à-vis de soi-même et d’autrui. En adoptant de nouveaux comportements, on s’ouvre à l’autre, on crée un climat favorable à une véritable écoute. Parce que le leadership est avant tout tourné vers l’autre, écouter et se sentir écouté constitue un enjeu majeur. Développer les meilleures facettes chez ses collaborateurs et instaurer un climat de confiance et d’émulation participent du leadership. Pour ce faire, il est probant d’opter pour la puissance étonnante de la position basse. Qu’est-ce à dire ? L’ego dominateur est un tueur d’entreprise et de projets, un destructeur de valeurs et de performance collective au profit d’une ambition personnelle. Le leadership ne se construit pas dans cette perspective mais bien plutôt à l’inverse. Il se fonde sur l’humilité, l’intégrité, la bienveillance et l’engagement personnel.